Bertrand de Rochambeau, interrogé dans le Quotidien sur TF1
C’est la rentrée. En quelques jours d’intervalle, deux présidents d’instance représentative de la profession de gynécologue obstétricien en France ont tenu dans les médias des propos hostiles à l’interruption volontaire de grossesse.
Le 4 septembre, Israël Nisand, Président du Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français (CNGOF), donnait dans le quotidien La Croix la réplique à Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial, à la question « La baisse du nombre d’IVG doit-elle devenir un objectif de santé publique ? ». Il y déclarait : « Prévenir l’IVG vaut mieux que de la faire ». Il ajoutait que « de très nombreux collègues gynécologues sont sur la même longueur d’onde : la meilleure IVG est celle que l’on a réussi à prévenir. »
Israël Nisand semble une fois de plus ignorer la réalité de vie des femmes. Les études montrent que près des trois quarts des IVG sont demandées par des femmes qui sont sous contraception.[1] En outre, les femmes assument quasiment à elles seules la charge de la contraception. Ce sont en effet elles qui prennent la pilule ou se font poser un DIU, en allant le plus souvent seules au rendez-vous médicaux pour l’obtenir, et en portant à elles seules la charge mentale qui y est liée.
L’IVG fait partie de la réalité de la vie sexuelle et reproductive d’un très grand nombre de femmes, puisque 200 000 IVG sont pratiquées chaque année en France. Malheureusement, l’IVG est toujours présentée comme un acte honteux, problématique, comme la preuve que les femmes seraient écervelées, ignorantes ou irresponsables, comme un acte qu’il faut combattre, dont il faut diminuer le nombre. Même si l’IVG n’est une partie de plaisir et est en général un acte douloureux tant physiquement qu’émotionnellement, il doit être considéré comme quelque chose de banal et de normal. Tout doit être mis en place pour qu’il soit facilité et entouré de bienveillance.
Or beaucoup de femmes doivent subir un parcours du combattant pour avorter, notamment parce que bon nombre de médecins défendent à corps et à cri leur « clause de conscience » pour ne pas en faire.
Quand Israël Nisand déclare qu’il vaut mieux prévenir les IVG plutôt que les faire, c’est une pression de plus sur les femmes et une fragilisation supplémentaire du droit à l’IVG.
Rappelons qu’il est déjà critiqué par le Planning Familial depuis plusieurs années parce que 95 % des IVG pratiquées dans son service ont lieu de façon médicamenteuse pour 50% de moyenne ailleurs. Y compris pour des IVG après 9 semaines, ce qui est hors recommandation de la HAS. Il justifie ses pratiques en affirmant que « l’anesthésie générale lors de l’IVG chirurgicale ‘crée un blanc traumatisant’ ». Il est regrettable qu’il use une fois de plus de cette psychologie de comptoir pour nier tout libre arbitre des femmes. (voir l’article Droit des femmes. IVG médicamenteuse contre IVG chirurgicale ?). Quelques années plus tôt, il s’était également illustré en s’opposant fermement à l’allongement du délai pour l’IVG l’égale portée par Martine Aubry lorsqu’elle était Ministre de l’Emploi et de la Solidarité (voir l’article La nouvelle bataille de l’IVG).
Le président du syndicat des gynécologues est anti-IVG
Quelques jours après les propos d’Israël Nisand dans la presse, c’est au tour de Bertrand de Rochambeau, président du SYNGOF, le principal syndicat des gynécologues, de déclarer sur TF1 qu’il ne pratiquait plus d’IVG : « Les choses auxquelles je ne crois pas, je ne les fais plus. Nous ne sommes pas là pour retirer des vies » en soutenant qu’une IVG est un homicide.
Il s’agit ici non pas de nuances, mais de propos lourds et directs contre l’IVG, alors que pour la première fois en France, un hôpital public de la Sarthe n’a plus pratiqué d’IVG pendant 9 mois en raison du fait que la majorité des gynécologues obstétriciens de cet établissement ont fait valoir leur « clause de conscience » pour ne pas en pratiquer.
On peut s’interroger sur les motivations réelles d’une personne qui se destine à la gynécologie obstétrique tout en ayant des convictions qui dénient aux femmes le libre choix de mener ou pas une grossesse à terme, c’est-à-dire le droit de disposer de leur propre corps.
Tolèrerait-on qu’un anesthésiste invoque une clause de conscience pour refuser de poser une péridurale à une femme qui accouche, sous prétexte qu’il adhèrerait à l’injonction biblique « tu enfanteras dans la douleur » ?
Tolérerait-on qu’un chirurgien invoque une clause de conscience pour refuser une transfusion sanguine pour des raisons religieuses ?
Tolérerait-on qu’un médecin invoque une clause de conscience pour refuser d’examiner une femme sous prétexte que sa culture le lui interdirait ?
L’IVG doit être un acte de base, faisant partie de l’ensemble des actes que les gynécologues obstétriciens sont amenés à poser dans l’exercice de leur profession, tout comme l’est la prescription d’une contraception, le suivi d’une grossesse pathologique et la prise en charge de complications de l’accouchement. Etre anti-IVG est incompatible avec la profession de gynécologue obstétricien. Toute personne est libre de ses opinions, et donc libre d’être opposée à l’IVG, mais dans ce cas, elle ne devient pas gynécologue obstétricien.
Aujourd’hui la loi permet permet pourtant, grâce à la clause de conscience réaffirmée dans la loi légalisant l’avortement, à un anti-IVG d’exercer le métier de gynécologue obstétricien. Elle lui permet donc de mettre en difficulté toutes ses patientes qui font appel à lui pour un avortement, et d’affirmer en toute arrogance des positions hostiles à l’IVG dans les médias sous prétexte de « la loi est de son côté ». Pour préserver l’accès effectif des femmes à l’IVG, il est donc nécessaire d’abroger cette clause de conscience spécifique à l’IVG.
Heureusement, il existe des médecins qui défendent avec conviction le droit à l’avortement. C’est le cas de Baptiste Beaulieu qui, entre ces deux prises de position des représentants de la profession de gynécologue obstétricien, a posté une vidéo dans laquelle il explique de façon brillante et sensible comment le droit à l’IVG sauve la vie des femmes.
"Aujourd'hui je veux vous parler du visage de Liliana Herrera, une Argentine de 22 ans morte cet été d'une septicémie suite à un avortement clandestin.Pourquoi clandestin ? Parce que le projet de loi visant à légaliser le libre accès à l’avortement a été rejeté par le Sénat argentin."Combien de Liliana Herrera ? – Alors Voilà de Baptiste Beaulieu
Publiée par France Inter sur Lundi 10 septembre 2018
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